3/1/11

« Pop lekonomi » de Menwar: A quand une décoration pour Stéphano Honoré ?

Sedley Assonne


« Pop lekonomi » est à l’origine un morceau de Menwar,sorti sur la cassette « Silos »,dans les années 80.Epoque charnière pour les travailleurs du port,car le Bulk Sugar Terminal,appelé « vrac »,et situé à Les Salines,vient d’être construit.Nombre de dockers perdront leur emploi.Stéphano Honoré et Georges Armel,tous deux dockers,sortent alors « Silos » et « Souvenir le port »,deux cassettes qui s’arracheront littéralement comme des petits pains. Menwar quittera ensuite le secteur du port,et la Cité Vallijee,où il habitait,pour aller s’établir à la Réunion.Il y passera à une autre étape de sa carrière de musicien,en rencontrant la poétesse Anne Cheynet.Tous deux travailleront sur la méthode de ravanne,que Menwar mettra au point.

De retour au pays,le fabuleux musicien de Vallijee peaufinera encore plus la méthode et concevra le son qui sera ensuite connu comme le « sagaï ».Les jeunes d’aujourd’hui qui découvrent Menwar croient encore qu’il est un « débutant »,mais cet auteur/compositeur/interprète est un vieux de la vieille de la chanson mauricienne,ayant fait ses preuves au sein du groupe Soley Ruz.C’est dire que Menwar n’est pas n’importe qui dans la chanson locale.Il en est même un des piliers,ayant revisité le séga avec le génie qui lui est propre,dans « Leko rivyer Nwar »,un album qui fait évoluer le séga vers ses racines africaines.

Aujourd’hui figure incontournable des célébrations nationales,et indiaocéaniques,il était logique que Harbour Music s’intéresse à cette grande figure de notre musique. »Pop lekonomi »,composé de dix morceaux,dont le titre-éponyme, »Levenement 80 », »Lavi Rodrigues », »Pansé », »Damorel », »Banané », »Sa lavi la », »Silos », »Séga Menwar » et « Zoli simé »,et qui bénéficie des arrangements de Georges « Colonel » Corette,est donc de nouveau présent dans les bacs des disquaires.Et c’est tant mieux pour la chanson mauricienne. Dans « Pop lekonomi »,Menwar évoque le conflit entre l’ancienne et la nouvelle génération,personnifiée par son père,qui s’habille comme « Rocambole », en costume trois pièces et châpeau feutre,alors que lui préfère le jean.Accoutrement de libération,le jean n’a pas qu’habillé les pionniers qui cherchaient de l’or dans l’Utah,aux Etats-Unis.

Très vite,il contribuera à changer les mentalités en matière d’habillement.Menwar n’y est pas resté insensible.Mais à Maurice,le jeune qui s’habillait en jean dans les années 80 était perçu comme un vagabond.D’où cette ode de Menwar,pour dire que c’était l’évolution,la « pop ekonomi ». Bien avant Cassiya et d’autres groupes,il fut un des premiers à rendre hommage à Rodrigues et à son peuple. »Lavi Rodrigues » témoigne du profond respect de Menwar pour cette île et sa spécificité.Certains politiciens gagneraient à écouter attentivement cette chanson pour comprendre cette île. Idem pour « Da Morel »,qui met l’accent sur l’importance de l’éducation.
Menwar n’a pas fait de grandes études scolaires,mais il est indéniablement un fin intellectuel,ayant compris que l’école peut aussi contribuer à ouvrir les esprits.Voilà quelqu’un qui mérite un « Honoris Causa » de l’université de Maurice. Son talent de poète est à son apogée sur le morceau « Sa lavi la ».Ceux qui habitent le triangle Cassis,Les Salines,Bain des Dames comprendront cette chanson à 1000%.Et pleureront ceux qui ont été fauchés sur la Nationale.Ils reverront aussi cette mendiante qui officiait aux portes du Marché Central de Port-Louis,et feront le parallèle entre sa faim et les poulets,saucisses et œufs rôtis qui font tourner les têtes aux hôtels ONU et Lai Min.En 3 minutes,Menwar croque la misère de Port-Louis en trois images saisissantes de détresse humaine.

Dommage qu’il ne chante plus « Sa lavi la » en public.C’est en tout cas un standard qui mérite d’être diffusé encore et encore. Dans « Banané »,l’artiste se définit tel qu’en lui-meme : »Pa kont lor mwa pou aste petar.Kot mwa pa pou ena lerwa bwar ».Et ce,bien avant que l’accent soit mis sur l’importance de l’épargne chez les Créoles.Peut-être que si certains avaient écouté Menwar,il n’y aurait pas eu de malaise ? Et que sont devenus tous les « Ti Claude »,dockers de grand-père à petit-fils ? « Silos finn ras so bouse manze ».Ce n’est que cette année que Mario Flore a pu arracher,grâce au concours des ministres Xavier Duval et Rama Valayden,une pension pour les veuves des anciens dockers devenus chômeurs après l’introduction du vrac.C’est dire combien Menwar reste toujours d’actualité ! Mais au fait,quand Menwar sera-t-il décoré par la république ? N’est-il pas temps,en haut lieu,de reconnaître sa contribution dans le domaine de la culture ?

(Fais le compte Bruno :Ce texte est paru dans Le Matinal,lors de la sortie de Pop Lekonomi).Qu’est-ce qui a changé pour Menwar,si ce n’est qu’il n’a toujours pas reçu de décoration de l’Etat.Et que certains veulent toujours faire croire qu’il ne « vaut » rien !
Sedley Assonne